Maguy Marin : L’humour de la révolte
Images grotesques, images qui réveillent: Danse et théâtre sont indissociables dans « DEUX MILLE DIX SEPT », la nouvelle création de Maguy Marin, à voir à la MAC de Créteil du 6 au 9 décembre. Une œuvre monumentale et surréelle où se croisent les victimes de la mode et celles des puissants, les dirigeants du capitalisme mondial et quelques fantômes. La vie, dans un champ de stèles.
Liberté d’esprit, liberté de ton: Maguy Marin prend position. Beaucoup de ses spectacles sont des manifestes. Parfois dans un esprit poétique, parfois empreints d’une veine plus militante. Et parfois elle accueille sur scène son propre sens de l’humour. « DEUX MILLE DIX SEPT » boit à toutes ces sources à la fois, et livre une synthèse monumentale de l’esprit développé par cette chorégraphe au cours des deux dernières décennies.
Faire du millésime d’une création son titre? Il fallait oser! Parce que d’aucuns pourraient y voir une sorte de facilité. C’est tout le contraire. Les trois, quatre ou cinq points d’exclamation qui devraient battre tambour à la fin du titre s’entendent sans qu’ils doivent s’écrire (mis à part les majuscules, en quelque sorte leur équivalent). Ils portent en eux toute l’indignation de cette grande chorégraphe et non moins grande militante. 2017, et un monde dans un état pareil!
« Indignez-vous ! »
Consumérisme, exercice cynique du pouvoir, violences sexuelles, régression politique, inégalités criantes entre les riches et les pauvres de l’humanité. Maguy Marin s’attaque à ces rapports de violence, physique ou en sourdine qui définissent chaque être, chaque état. Il y a cinquante ans, la génération des baby-boomers avait imaginé le monde en 2017 bien différemment, plus égalitaire, plus juste, plus spirituel peut-être et beaucoup moins violent.
« Deux Mille Dix Sept » est certes un manifeste, mais en même temps Marin est une artiste accomplie qui n’a jamais fait un spectacle anodin. En quarante ans de créations, elle a souvent agacé une partie de son public, mais jamais elle ne l’a ennuyé. Elle attaque ici par un humour aussi fin que facétieux, quand chaque personnage arbore son fantasme petit-bourgeois, si formaté qu’il en devient ridicule.
Humour décapant
En miniature, tels des accessoires de mode, la voiture, le pavillon petit-bourgeois et même un paquebot apparaissent soit sous le pied, en guise de soulier, soit sur la tête, comme un couvre-chef trahissant l’obsession du citoyen-modèle. Et on se balade fièrement avec de gros sacs aux marques de luxe omniprésents.
Le théâtre sans paroles de « Deux Mille Dix Sept » n’est pourtant pas avare en collections lexicales. Mais ces mots qui affluent par rafales s’inscrivent dans une scénographie rigoureusement monumentale, tout à fait étonnante en danse contemporaine, sans toutefois éclipser la présence des danseurs. Un par un, ils soulèvent chaque élément du sol: Des stèles et rien que des stèles, rigoureusement alignées à la manière d’un mémorial. Verdun, par exemple. Ou bien le monument pour la Shoah, à Berlin. Y sont inscrits par exemple les noms des pays les plus riches et des pays les plus pauvres de la planète.
Scénographie monumentale, esprit humain
Alors, où danser? L’ordre du monde est impitoyable, laissant aux habitants à peine assez d’espace pour continuer à respirer. Sauf bien sûr, ces gros banquiers, PDG ou ministres qui fument tranquillement leurs cigares dans la montagne suisse au sommet G8 ou autre… En même temps, dans les bas-fonds, on courbe l’échine, on subit, on se fait chasser ou violer. Tout ceci est schématique mais non moins vrai quant à l’état du monde. Maguy Marin sait enrober chaque théorème de son « J’accuse » de belles métaphores et de dialogues gestuels d’une finesse bouleversante.
Mais un mur est un mur. Il surgit ici à partir des stèles, sur lesquelles on lit maintenant les noms des trois cent familles les plus riches et puissantes de la planète, dont bien sûr celui de Trump dont on sait à quel point il voudrait construire un énorme mur. Dans « Deux mille dix sept » la construction s’achève en une longue nuit de labeur qui freine le spectacle mais libère le plateau. Dans cette tout nouvelle création de Maguy Marin, les symboles sont donc des armes d’instruction massive.
Et s’ils s’ils sont là pour évoquer les inégalités criantes, la pièce est néanmoins, et fort heureusement, portée par une dizaine de danseurs-acteurs au sommet, artistique s’entend. La grandeur de Marin est de faire passer son engagement par une humanité partagée qui résulte du fonctionnement solidaire et égalitaire de la compagnie et de son lieu de création, le Ramdam à Sainte Foy-lès-Lyon.
Thomas Hahn
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